Tipasa - dont le nom semble signifier "passage" en punique [S.Lancel] - existait bien avant le développement des civilisations du monde classique puisque des fouilles non loin d'elle, et sur son emplacement actuel, ont révélé les premières manifestations humaines du Paléolithique supérieur. L'homme du Néolithique succéda à l'Atérien et c'est lui qui verra aborder sur ces rivages les premiers navigateurs phéniciens.
Les marins et commerçants puniques transitèrent sûrement par Tipasa - qui n'en avait pas encore le nom - et il reste de cette époque, dans le port un grand caveau échoué là on ne sait pourquoi et des fouilles régulières ont permis de trouver un important mobilier funéraire datable des IVè, IIIè, IIè siècles av. J.C ce qui permet de penser que Tipasa devait être plus qu'un comptoir installé par Carthage.
[A droite, objet punique : vase plastique en forme de bélier]
Après cette période et à la fin du premier siècle avant J.C., Juba II reçoit un immense empire s'étendant du Maroc à l'Algérie actuelle. Il épouse Cléopâtre Séléné, fille d'Antoine et Cléopâtre et l'on pense que le grand mausolée royal "Le Tombeau de la Chrétienne" est peut-être de cette époque. C'est aussi à ce moment que Iol Caesarea (Cherchel) devient la capitale administrative de la province de Maurétanie Césarienne et que Tipasa grandit considérablement. Le christianisme fait son apparition dans la première moitié du troisième siècle et l'histoire de Sainte Salsa est bien venue pour nous prouver qu'il s'est affirmé au travers des persécutions. A la fin du IVè siècle Tipasa connait sont plus grand développement et sa population pourrait être estimée à environ vingt mille habitants. Puis, une grande partie des habitants, persécutés par les Vandales, s'enfuit en Espagne par la mer. Arrivent ensuite en 534, les Byzantins qui reprennent Caesarea (Cherchel) et sans doute Tipasa. Dans les documents offerts aux historiens et aux archéologues, on ne trouve plus alors de faits relatifs à Tipasa et au-delà du sixième siècle la vie continua dans la précarité."Puis Tipasa subit le sort commun à tous les habitats qu'on abandonne et dont la fin se fait en marge de l'histoire. Le site fut livré aux alluvions des oueds, à l'insidieux ensevelissement des dunes. On vint y prendre les plus belles pierres, puis on le laissa à la mer et aux vents."
Serge Lancel, Membre de l'Institut - Directeur des fouilles de Tipasa - 1967
Il est extrèmement difficile, après tant de célèbres plumes, de donner soi-même cette impression magique ressentie devant Tipasa. Mais quelque soit la façon de "dire" les choses, il est indubitable que Tipasa occupe dans le cur et le souvenir de ceux qui ont eu le privilège de l'admirer et l'aimer, une place majeure.

Avant le crépuscule, une lumière dorée caresse les ruines. Le seul son perçu est le murmure des vagues qui s'écrasent doucement au pied rocheux des falaises. S'arrêter, s'asseoir, regarder, admirer. Repartir en caressant les armoises grises et odorantes, et venir jusqu'à la Villa des Fresques, tout au bord de l'eau, de nouveau s'asseoir et contempler. Un programme que j'ai suivi bien des fois depuis l'enfance et jusqu'au départ dont je me demandais s'il serait définitif ou me laisserait encore le plaisir de retourner à Tipasa.
[Le "cardo" menant à la Villa des Fresques, au bord de l'eau]
Je suis retourné à Tipasa.
Et de nouveau retrouvé cette paix à nulle autre pareille. Le Chenoua, était toujours là, dominant de son imposante masse, la courbe de la mer et la plage étirée le long de ses pieds. J'ai parcouru de nouveau ces chemins connus. Passant devant la grande nécropole avant d'arriver au village lui-même, et la basilique de Sainte Salsa qu'il me fallait admirer dans le soleil du soir, mes pas m'ont conduite devant le grand amphithéâtre, devant le théâtre, retrouvant le "decumanus maximus", voie principale de la cité qui menait jusqu'à Iol Caesarea, puis le Nouveau Temple et emprunté le "cardo", voie nord-sud qui descend vers la mer, au nord. Le long du "cardo", s'ouvrent des portes monumentales, entrées de demeures superbes dont la plus belle est appelée "La Villa des Fresques", ainsi dénommée parce que l'on y a trouvé des fragments du décor peint qui ornait les murs.
Plus à l'ouest se trouve une maison dans laquelle on a retrouvé quatre cuves profondes et de grandes jarres (dolia), des canalisations et un égoût qui se jette dans la crique. Ce pourrait être une salerie de poissons ou encore à une fabrique de "garum", sauce à base de poissons et d'aromates, utilisée en grande quantité dans les préparations culinaires de l'époque. Lentement, savourant le paysage, la lumière, la mer et les armoises toujours présentes, les petits thermes s'ouvrent aux regards, avec leurs salles chaudes (caldaria) leurs circulation d'air chaud sous le sol et dans la double cloison des murs, le frigidarium avec sa piscine d'eau froide. Remontant vers l'ouest on arrive à la Grande Basilique, juchée sur un cap, le plus vaste édifice chrétien de cet âge, sur le sol algérien. J'ai parcouru alors la nécropole devant l'église de l'Evêque Alexandre et m'arrêtant longuement mes regards se sont portés sur le Chenoua, l'interrogeant, comme s'il pouvait donner réponse à mes doutes, gardien de tant de secrets que nous lui avons tous confiés.
Retour au hasard des pas, des chemins, guidée par la lumière au travers des oliviers et des pins vers la Nymphée. Fontaine publique, en demi-cercle, où l'eau coulait pour les habitants de la cité en plusieurs endroits comme des sources consacrées aux divinités des eaux. Restaient encore des colonnes de marbre bleu entre lesquelles l'eau jaillissait pour venir dans le dernier bassin où l'on puisait. En sont les témoins ces entailles profondes dans la margelle. Ma respiration était à l'image des lieux : calme et sereine emplie de tous ces parfums exacerbés dans la chaleur de la fin du jour. On ne peut pas résister à cette atmosphère qui cache quelque chose de divin.
"...Tipasa. L'épure. Je ne cherche pas à voir ce que je sais par cur. Je cherche plutôt ce que je n'ai jamais remarqué, des détails, une pierre prise par la lumière, une branche d'arbre, l'unité du tableau qui échappe à la première visite. Tipasa forge le visage, mais lentement, avec le temps...Retour chez la mère Varin. Elle parle peu, gardant de plus en plus en elle son histoire et ses secrets. Une fois de plus on l'interroge sur Camus : "Je l'ai très bien connu...il était sauvage." Elle répète plusieurs fois ces mots. Je l'aime la mère Varin, quand dans de tels instants, sans le savoir, elle nous livre Camus, comme sur une scène afin que l'on puisse dialoguer avec lui."
[Jacques HURE - Africa - Journal 2 - Les années d'Algérie (1959-1973)]
En lisant ces mots de Jacques: "la mère Warin", me reviennent en mémoire ces journées merveilleuses de mon enfance, ces déjeuners délicieux avec mes grands-parents. Pour fond de scène le tombeau punique échoué dans le port. Et le jardin et ses balançoires, qui donnait directement près du Musée sur les ruines...Peut-être qu'à ce moment je ne goûtais pas encore Tipasa comme je le fis plus tard, mais il restait de ces souvenirs une auréole scintillante qui vient ajouter encore, à ce que j'ai ressenti plus tard.
Avant de prendre le chemin du retour, je me donnais encore une fois le bonheur de visiter la Basilique de Sainte Salsa y arrivant par un "sentier qui serpente dans un odorant maquis de lentisques, d'absinthes, d'asphodèles et de cyclamens." (Serge Lancel).
Le soleil commençait de se cacher derrière le Chenoua mais venait encore inonder de sa chaude lumière, les pierres érigées et les chapiteaux, les dallages réguliers et les piliers couchés dont on devinait qu'ils soutenaient la voûte d'une nef imposante. Sur cette colline dont on pourrait dire qu'elle est une "colline inspirée" on a rendez-vous avec la beauté: les pierres, dorées, les plantes et les fleurs, la mer et la lumière du soir. Alors naît un sentiment de profonde communion avec tous ceux qui reposèrent dans ces sarcophages rassemblés autour de l'église. On se souvient alors qu'une foi s'est manifestée là, pendant des siècles. A ce moment même sont gommés toutes amertumes, révoltes, ou injustices dont on peut parfois ressentir les néfastes effets.