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PAUL MORAND

ET CHIOS


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LA VIE A CHIO - Vue par Paul Morand

Paul Morand en 1969
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Paul Morand, écrivain, mais aussi diplomate et par conséquent voyageur, et amoureux de la Méditerranée, image dans un de ses petits ouvrages "Méditerranée, Mer des surprises", la vie à Chio telle qu'il la vit. Elle pouvait bien être la même que celle que menaient nos ancêtres dans le début du 19è siècle.

Paul Morand finit sa vie à Tanger, mourût à Paris, mais fut inhumé à Trieste dans le cimetière orthodoxe et dans le caveau des Economou, famille de sa femme. Rappelons qu'il avait épousé Hélène Chrissoveloni, née à Galatz en Roumanie. Les Chrissoveloni étaient archontes de Chio. Richement dotée par son père, banquier en Roumanie, elle brilla dans les salons parisiens à la fin de la Belle époque et échangea une volumineuse correspondance avec Marcel Proust qui l'admirait beaucoup. Après avoir divorcé du prince Soutzo, attaché militaire de Roumanie en France, elle se remaria avec Morand, alors diplomate.
[Selon le vœu de sa fille, Georgette Soutzo il fut inhumé à. Trieste dans le cimetière orthodoxe et repose dans le caveau des Economou, famille de la mère d'Hélène Chrissoveloni. Cette précision me fût donnée par la gardienne du Cimetière, orthodoxe de Trieste.]


CHIO

O soleil, ô grand luminaire

"Ce matin, aidé d'un croissant de lune, tu éclaires Chio sans vins ni charmilles, Chio, île aride aux montagnes cassées. On approche, on entre dans l'étroit port et déjà cela change; des cyprès en fuseaux droits s'élèvent au-dessus des murs de tons jaunes. Un fort dirigé, non contre le large mais contre la ville (ce qui indique assez que c'est un ancien fort turc) garde les terrasses blanches, comme un dogue un os. Les moulins à eau, hautes roues aux rayons pareils à des baleines de parapluies, les moulins à huile tournés à bras, les pressoirs au fond des cours, perpétuent seuls le mouvement, au milieu du jour, dans ces maisons endormies, moins endormies que secrètes. A Chio dans les faubourgs et les campagnes, l'empreinte musulmane est encore visible: les femmes se cachent la bouche que passe un inconnu et les vieux portent le large pantalon noir alla turca. Mais en ville les maisons des notables anoblis il y a quatre siècles par les Vénitiens, s'enorgueillissent d'armoiries et d'écussons, les balcons sont soutenus par des consoles à l'italienne, les rues sont animées, les métiers se groupent encore par quartiers et le commerçant debout sur son seuil, comme dans tout l'Orient, (habitude que les Juifs ont transportée à New York dans Broadway ou à Paris autour de l'Hôtel de Ville) guette le client, rare comme une proie...Sur la grand'place, rakis et masticas sont consommés à l'ombre pâle des eucalyptus et des kiosques.

Je préfère les faubourgs et leurs vieilles demeures campagnardes sans fenêtres, aux rudes murs de forteresse, aux portes de bois cloutées; des terrasses, les habitants reclus vous observent comme dans le tableau de Carpaccio; parfois une porte s'entr'ouvre et l'on devine que la maison est un univers clos, un paradis scellé dont il n'est nullement besoin de sortir. Vie patriarcale à l'ombre des figuiers. Les allées du jardin secret sont dallées de mosaïques blanches et noires. Les femmes lavent le linge, cuisent le pain, font leurs réserve de confitures splendides, les meilleurs du monde - confiture de pétales de roses, de fleurs d'oranger, de noix entières, de citrons nains - ou vont à la messe dans leur chapelle privée, tout cela à domicile. Sous les lauriers-roses et les cyprès, au bruit de l'eau fraîche qui coule ou de pressoir à vin qui grince, les jours des Chiotes s'écoulent, pleins de préoccupations de famille, de lectures, de cultures et de prières orthodoxes.

L'intérieur de l'île est admirable. La route pierreuse disparaît soudain dans le seigle, l'avoine, blé blond comme une actrice de cinéma. Nous sommes en juin et déjà on moissonne; déjà, le maïs dessèche sous les feux du midi; le tabac étend ses larges feuilles et de longs bouquets de lauriers blancs ou roses décèlent le lit de quelque rivière ou le voisinage de quelque source. Les arbres qui bordent les chaussées sont une des richesses de l'île, car ce sont des arbres à mastica et le mastica est une résine d'où l'on tire une confiture, une gomme à mâcher, une liqueur et tout le vernis de nos voitures. La route traverse d'adorables villages médiévaux avant d'arriver à la merveille de l'île, à Pyrgi. Là, c'est encore la Grèce turque de Hugo ou de Byron et c'est aussi la Grèce vénitienne et génoise. Les femmes, à teint olivâtre, y perpétuent un type d'oiseau de proie au nez sec et fin, aux sourcils joints, aux yeux bleu foncé, qu'on n'oublie plus. Elles revêtent d'étranges et très beaux costumes de couleurs vives, et leurs minces nuques, très droites, portent de petites têtes enturbannées d'où des bandes orange se déroulent le long des cheveux plats coupés comme ceux des pages florentins. Elles vont à la fontaine, suivant un rythme millénaire, la jarre sur l'épaule. Dans ce petit village contemporain, c'est la vie du XIVè ou du XVè siècle qui remplit les rues étroites. Les animaux logent avec les hommes, dans les maisons dont le rez-de-chaussée forme une étable, et si je me risque à pénétrer par une porte entr'ouverte dans quelque demeure sombre et fraîche, je suis accueilli par une bonne figure d'ânon ou de chèvre noire. Le cochon est égorgé au milieu de la rue, dans un grand concours de spectateurs...Les vieilles jacassent sur les seuils; le pope rentre dans son antique église, si enfoncée dans le sol qu'elle semble une crypte, si obscure, si enluminée, si enfumée, où des Saint George vermillon écrasent des hydres vertes dans une poussière d'or et d'encens, dans une atmosphère si orientalement immobile."

In "Méditerranée, mer des surprises" Paul Morand - 1938


2001-06-24
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Bibliographie:
"Méditerranée, mer des surprises" - Paul Morand - Paris - Edit. MAME - 1938
"Les Grandes Familles de Grèce;" - Mihail Dimitri Sturdza - Paris
Documents et photos FBB


Françoise Bernard Briès.

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