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CHIOS

VOLEURS D'ICONES


Vue de Chios

Pour d'autres pages sur "LES GRECS", voir:

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OÙ LA GENEALOGIE MENE A L'HISTOIRE
Il faisait nuit noire lorsque le ferry venant du Pirée accostait dans le port de Chios.

Je me savais attendue. Je devait retrouver ici mon 'cousin'pour continuer nos recherches sur nos familles émigrées de cette île au moment de l'attaque turque en Avril 1822. Les lentes manoeuvres du ferry me permettaient de scruter le quai, d'entrevoir la silhouette connue à côté du Land Rover rouge.

J'avançais parmi la foule, doucement en savourant d'avance l'instant où je mettrais le pied sur cette terre que Loula Vlasto et Jean Zygomala avait quitté 177 ans auparavant, presque mois pour mois. Il est vrai que j'eus à ce moment une grande émotion, le coeur battant, la tête pleine d'images terrifiantes qui m'empêchérent un peu de prêter attention à la main qui se tendait pour prendre mon sac. Cela ne dura qu'un bref instant et je réalisais que nous étions maintenant deux 'rescapés' de ces Massacres dont nous avions entendu tant parler et dont nous connaissions aussi la peinture assez pompeuse exposée au Louvre.

Il n'y avait qu'un seul bistrot ouvert où nous avons commencé la journée avec un Capuccino qui n'en avait que le nom. Que faire à quatre heures du matin, sinon aller voir se lever le soleil au-dessus de la côte turque distante à peine de trois mille marins.NeamoniIci depuis plusieurs jours, mon 'cousin' m'emmèna vers le Monastère de Nea Moni, à quelques kilomètres de la ville sur les hauteurs. Le jour commençait à poindre, mais pas encore le soleil. Il attendait que nous arrivions juste en vue de Nea Moni pour illuminer l'île et me faire enfin admirer ce paysage que je désirais tant connaître. C'était superbe. Le Monastère, dans un creux de vallée, construit au XIè siècle sous l'égide de l'empereur Constantin, avait été restauré, pour ne pas dire reconstruit en partie après avoir été détruit par le tremblement de terre de 1881. On pouvait encore voir les vestiges de ce qu'il fut, autour de la nouvelle construction. C'est ici que se réfugièrent une partie des habitants de la ville au moment de l'attaque turque, empruntant la vallée escarpée du cours d'eau dont la source se trouve dans la partie la plus haute.

Je ne me lassais pas d'admirer ces paysages nouveaux, le détroit qui séparait l'île de la côte turque, les autres îles, les environs de la ville dont j'apprendrais qu'ils se nomment le 'Kampos', tapis vert semé de carrés couleur rouge et beige, orangeraies entourant les maisons où les nobles familles fortunées venaient passer les jours les plus chauds. La lumière était maintenant forte et nous redescendîmes vers le Kampos où nous logions dans une de ces anciennes maisons transformée en pension. En passant nous nous arrêtions chez les connaissances de Christopher, connaissances dont il m'expliqua l'utilité : "Nous ne sommes pas des touristes, nous devons être des journalistes (pour lui c'était un fait. Pour moi, beaucoup plus difficile) en quête d'informations utiles à notre travail". J'apprenais ainsi comment travaille un journaliste...Tous les détails sont bons. Il ne faut en négliger aucun. J'en avais pris bonne note !!!

    LE KAMPOS
Le Kampos est une plaine fertile remplie d'orangers, de citronniers, et d'autres agrumes, dont le sous-sol est constitué d'une nappe phréatique importante. En flânant dans toutes les petites ruelles qui dessinent le Kampos, on voit toutes les demeures habitées autrefois par les familles de Chios. Construites avec la pierre de Thyminia, rougeâtre et beige, elles sont entourées de hauts murs de même pierre qui ne laissent apparaître que les cimes des arbres. Cependant la curiosité peut être satisfaite lorsque l'on jette un regard par les portails superbes et décorés généralement des armes des propriétaires. Armoiries disparues, volées, pillées ou détruites pendant le tremblement de terre.

Ces maisons sont généralement construites dans les mêmes dispositions : une cour au sol en mosaique de galets noirs et blancs, un puit avec une roue à aubes autrefois menée par un mulet ou un âne (comme on pouvait en voir aussi en Espagne, en Algérie, et dans la plupart des pays méditerranéens), un grand bassin où se déversait l'eau du puit et qui servait à l'arrosage des jardins, une treille montée sur quatre grandes colonnes ouvragées gardait la fraîcheur et l'ombre aux mois les plus chauds. De cette cour partaient des allées dans la forêt des orangers. La maison avait deux ou trois étages desservis par un large escalier donnant sur une terrasse... Il ne me fallait que peu d'imagination pour reconstruire ces maisons et pour y voir des femmes sûrement très belles, bien habillées, accompagnées d'enfants jouant auprès d'elles, venues les unes chez les autres prendre une collation. J'entendais presque les papotages, les espérances d'un mariage avec un tel ou une telle, alliances voulues pour venir grandir une fortune déjà considérable.

Broderie de soie


Ils étaient tous plus ou moins "cousins" ou du moins parents, alliés. Les Vlasto marieraient-ils leur fille avec un des fils Schilizzi ? ou bien avec le fils Mavrogordato ? La fille de Iannis Zygomala trouvait bien à son goût le jeune Calvocoressi. On peut bien penser que cela était en grande partie la conversation de toutes ces dames... Et l'on devait bien aussi parler chiffons. La soie dont on faisait sécher les écheveaux en ville sur une place spéciale, servait à broder de nombreuses pièces de vêtements et se montrer avec une écharpe nouvelle devait attirer les compliments et les envies. Les dîners et réceptions, servis par de nombreuses servantes réunissaient la plupart de toutes ces familles et la gaîté, la joie et les rires devaient s'entendre à des lieues à la ronde. Les demeures étaient nombreuses car c'est au 14è siècle qu'elles commencèrent à être construites.

Actuellement il est triste de voir nombre de ces superbes maisons abandonnées, en ruine, les cours envahies d'herbes et la roue à aubes cassée. Mais la municipalité de Chios commence à prendre des mesures pour que ce souvenir du passé soit conservé de la meilleure manière. Certaines maisons ont été données à la ville par les descendants des anciens propriétaires et sont transformées en auberges dont on ne peut pas dire qu'elles soient des plus belles. Nous nous disions en nous promenant qu'il faudrait vraiment un plan assez strict pour faire de cet endroit unique un souvenir d'un passé historiquement très riche.

    LA CHORA
Il y a dans la ville de Chios, appelée "CHORA", deux lieux importants. Le Kastro et l'endroit où furent pendus les otages retenus par les Turcs, au mois d'avril 1822.

Le Kastro est une forteresse construite par les byzantins vers la fin du Xè siècle. Elle constituait en fait la première ville. Ses murailles ont subi de nombreux changements, Turcs et Génois tentèrent sans cesse de les renforcer. Les Justiniens y avaient établi leur siège où vivaient également l'évêque latin et les nobles grecs. Actuellement la forteresse comprend l'ancien quartier turc avec ses maisons et ses étroites ruelles. L'agencement de ce quartier ne fut pas modifié pendant trois cents ans. Les catastrophes, et les séismes modifièrent considérablement l'apparence de l'édifice. On peut cependant voir (et cela prend pour nous une signification historiquement dramatique) une pièce carrée encastrée dans la muraille, transformée en 1822 en "prison noire". Et c'est ici que furent enfermés pendant quarante jours les accusés de Chios avant d'être conduits à la potence le 23 avril 1822.

Et c'est par cette porte qu'ils sortirent, aveuglés par le soleil, menés par leurs bourreaux à leur mort. Ils étaient soixante quatorze. Ce sont eux dont nous devons nous souvenir ici. Leurs noms sont gravés sur une stèle érigée sur le lieu même de la pendaison. Leurs descendants sont encore nombreux, "émigrés" dans de nombreux pays et y ayant recommencé une nouvelle vie.

Les familles qui ont pu échapper aux Turcs sont parties épouvantées vers de nouvelles îles comme Psara et Syra et de là vers des destinations choisies parce que certains de leurs parents y étaient déjà, généralement des ports, où ils pourraient continuer à vivre en faisant ce qu'ils faisaient depuis des siècles à Chios, du commerce maritime principalement. Ils n'emportaient avec eux que quelques bijoux, de petits objets, enterrant parfois les plus précieux dans leur jardin en espérant pouvoir revenir les chercher - ce que certains d'entre eux ont fait. Ces objets sont encore dans nos familles et restent les témoins de leurs vies.

Le reste de la Chora est faite de petites rues étroites, sans trottoir. Les plaques des rues sont autant de témoignages des noms de toutes ces familles nobles de Chios.

La ville avait été mise à feu et à sang au moment des Massacres, et elle fut presque entièrement détruite par le sésime de 1881. Elle a été reconstruite et agrandie au cours des années gardant son caractère méditerranéen. Les rues sont animées, les magasins achalandés, les cafés sont les lieux de rencontre favoris de tous les habitants.

En se promenant au hasard, on passe parfois devant une maison ancienne coincée entre deux constructions modernes. La pierre dont elle est bâtie est la même que celle des maisons du Kampos. Ornées de colonnes, de sculptures et de fort jolies décorations, un balcon au premier étage, des magasins et entrepôts au rez-de-chaussée elles reflètent un riche passé. Les Chiotes, depuis l'antiquité étaient les grecs les plus fortunés - je ne fais que citer Thucydide - et cette vie opulente prit rapidement une dimension légendaire connue sous l'expresssion : "Vie de Chios"!!!

Je n'oublierais pas non plus le Musée Koraes où nous avons passé bien du temps à regarder les peintures et gravures rassemblés ici et qui nous a encore donné ainsi que la bibliothèque plus de précisions que nous pouvions en attendre. Mais Chios n'est pas qu'une seule ville, c'est aussi une île. Et nous nous devions d'en faire le tour.

    DU NORD AU SUD
Nous n'avions pas de contraintes particulières et nous sommes partis un jour vers Volissos, au nord de l'île. La route monte et traverse le sommet de "montagnes" arides et volcaniques, sans aucun arbre et balayées par le vent du nord qui doit être assez froid. Paysage désolé mais d'où l'on peut admirer la côte turque et les autres îles qui ferment un peu le détroit. Le long de la route on peut voir l'ancien chemin pavé qu'a emprunté l'un des nôtres pour voir comment l'on pouvait embarquer pour Psara, petite île au NO et qui accuellit ceux qui purent échapper aux hordes turques. On imagine sans peine que ce devait être difficile et long et cela vient encore ajouter aux images terribles souvent évoquées.

Les pins font place aux roches et aux cailloux et la descente vers le petit port est magnifique. Lointaine est la ville et les rares villages semblent perdus accrochés aux flancs des collines. Le paysage est absolument naturel. J'ai remarqué beaucoup d'oliviers dont les troncs énormes et torturés montraient qu'ils étaient là depuis des centaines d'années. La route suit ensuite la mer, à l'Ouest, longeant de merveilleuses criques où rien du tourisme actuel n'est venu troubler le calme et la beauté. L'eau était transparente et claire. Que n'étions-nous en été : je m'y serais baignée, retrouvant la Mer que je dis être "mienne" pour m'y être depuis mon enfance à Alger, si souvent trempée.


Avant de partir il nous restait une demi-journée; nous sommes partis vers le Sud. Cette région s'appelle "Mastichochoria". C'est ici que l'on cultive le lentisque qui depuis deux millénaires a contribué à la richesse de Chios. En saignant les tiges de ces arbustes parfois petits arbres on obtient le "mastic" utilisé en médecine et pour la fabrication du vernis. Il a été employé depuis très longtemps comme gomme à mâcher pour protéger les gencives et rafraîchir l'haleine. Les Arabes tirent des baies une huile comestible parfumée et peut servir à l'éclairage. On en fait aussi une confiserie locale appelée "mastica". C'est probablement aussi le "baume" de la Genèse.

On saigne les troncs de ces petits arbres et en coule une résine sur le sol. Ces "larmes" figées sont ensuite triées nettoyées et traitées pour servir dans de nombreux domaines dont l'orthodontie, la parfumerie, pour n'en citer que quelques-uns. Il est prouvé que c'est vers 250 ap. JC que les habitants de Chios commencèrent la culture du lentisque. Et c'est encore à l'heure actuelle une source de revenus très importante.

En traversant ces champs de lentisques me venait en mémoire le goût des perdreaux en Algérie si caractéristique parce qu'ils se nourrissent de leurs baies....Je ne me lassais pas de regarder tout cela pensant avec force que Jean et Loula avaient retrouvé en s'établissant en Algérie beaucoup de ressemblances avec leur île natale.

Il faisait un temps merveilleux, Je goûtais ces moments avec force, tâchant d'imprimer dans ma mémoire tout ce que je voyais, les petits iris mauves, les tulipes, sauvages elles aussi, ces parterres de fleurs naturelles que l'on ne voit plus dans nos régions où la civilisation, le modernisme et l'homme ont fait disparaître le "naturel".

Nous nous arrêtions au sanctuaire d'Apollon où une chapelle orthodoxe a remplacé le temple à lui dédié, entourée d'oliviers et dans laquelle nous laissions brûler un cierge, en mémoire de Cécile et pour Jill, d'un commun accord avec mon 'cousin'. Le soleil déclinait, c'était le jour de notre départ, le ferry que nous devions prendre pour le Pirée partait à 22 heures. Il nous fallait être au port une heure avant. Ce que nous fîmes tranquillement, en passant dire "au revoir" à ceux qui nous avaient accueillis avec beaucoup de chaleur.


Le Land Rover était rangé avec les autres véhicules le long du quai. Et nous dedans attendant que l'on nous fasse entrer. Un grand désordre présidait à cet embarquement. Il y avait de tout un peu partout, des voitures, des camions, des femmes, des hommes, des sacs jetés à terre...Nous échangions de temps en temps des mots et nous restions silencieux aussi, perdus dans des images, des textes, des rencontres. Brusquement un coup était frappé à la glace avant. Un homme voulant avoir l'air très méchant et sérieux brandissait une carte. La vitre ouverte il prononça d'un ton menaçant "Police!", par gestes demanda que l'on ouvrit la porte arrière, monta et nous enjoignit dans un langage mi-grec, mi-anglais d'aller au poste de police.

Qu'avions-nous fait ? Sur son injonction le Land Rover écrasa quelques sacs fit une centaine de mètres et se rangea devant le poste de police en bout du quai. Nous nous regardions sans mot dire. On nous fit descendre et aussitôt arriva une nuée de policiers en uniforme ou en civil. Ils commençèrent à nous poser des questions, toujours dans le même langage imagé. Passeports, filiation, que faisions-nous, depuis combien de temps étions-nous là. Pendant ce temps les sacs et bagages étaient sortis, vidés, inventoriés, le capot ouvert, les tubes dentifrice aussi... Nous ne savions toujours pas pourquoi ?

J'appelais de mon mobile, cachée de la troupe, un ami, 'cousin' lui aussi, grec, habitant Chios et personalité connue. Arrivé en toute hâte il tenta avec son épouse et sa fille d'avoir quelque explication, sans grand succès. Mais les policiers devant lui, commencèrent à ralentir leurs investigations. On voulut nous faire signer un document, en grec, que nous n'étions pas en mesure de comprendre du tout, ce à quoi mon "cousin" se refusa tout net.(Lire son intéressante page sur "Les voleurs d'icônes")

Iannis, notre ami, nous fit signe de monter et de démarrer : il était temps, le ferry allait partir. Nous nous demandions s'il n'allait pas avoir d'ennuis lorsqu'au moment de monter à bord il nous rattrapa et nous expliqua qu'il avait été signalé à la police que l'on nous avait entendu parler d'icônes anciennes, le jour même dans un restaurant, et que c'était-là la raison de notre interpellation : nous étions considérés comme "Voleurs d'icônes".

Nous n'en avons pas cru un seul mot!!!, pensant que ces policiers là ne cherchaient qu'à nous ennuyer, tout simplement. Une fois à bord, détendus, nous avons réalisé tranquillement que deux étrangers venant ici à des fins de recherches familiales, dans un but historique - Christopher ayant même l'intention de faire don au Musée de plusieurs objets venant de ses ancêtres - étaient par là-même suspects, mais que le zèle arbitraire de la police n'avait finalement abouti à rien. L'incident doit faire l'objet d'articles dans les journaux locaux et même nationaux. On n'arrête pas impunément un journaliste, britannique de surcroît, et son acolyte, sans raisons valables!!!!

Il faisait nuit noire lorsque le ferry sortit du port de Chios pour le Pirée.


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© Françoise Bernard Briès.

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