De Navarin à Paris... en passant par Venise et la Grange du Tambour

Une étonnante rencontre...


Grand Etymologique
Lettrine "Alpha" sur la première page du Grand Etymologique.

Est-ce la magie d'Internet ???
Est-ce les circonstances ???
Est-ce le hasard ???

Mettons le tout dans un chapeau, mélangeons et lisons ce que révèlent toutes ces interrogations.

Une page dans un site personnel, avait pour nom "NAVARIN". Elle relatait une lérère altercation entre Elle et Lui au sujet de l'appellation d'un plat; ragoût d'agneau avec des tomates, des oignons, des haricots verts tout frais; qu'elle appelait :" mon ragoût arabe" et qu'il dénommait "navarin". Cela engendra ce que vous pouvez lire sur la page NAVARIN sur ce même site.

Un jour, ouvrant ma boîte aux lettres virtuelle, (vous avez deviné : Elle c'est moi et Lui c'est Lui) j'y trouvais un message intéréssé, d'une part par Les Pages Tambour et ce qu'elles contenaient en général et, d'autre part précisement par ce fameux plat qui lui paraissait si délicieux. La phrase le concernant étant même accompagnée d'un "smiley", ce qui acheva de me convaincre que la suite serait agréble. Le visiteur ne s'en cachait pas du tout. J'étais très flattée et curieuse d'en savoir un peu plus sur lui, qui avait pour nom Nottara.

Etait-il gourmet ???
Etait-il gourmand ???
Etait-il curieux de généalogie ???

Car, je n'ignorais pas qu'une Anna Notaras, en 1490, à Venise, avait commandité et encouragé Nicolas Vlastos, le crétois - un peu mon "ancêtre" en fait - pour l'édition et la publication d'un ouvrage qui allait faire date pour les "belles lettres hellènes" de l'époque :"Etymologicum Magnum".

Dans un premier temps je me contentais de simplement demander à mon visiteur, si "deux t" et si "Notara sans s ou avec une s"... l'orthographe... différente ? Mais aussi l'éloignement dans le temps...Je fus alors vraiment surprise et trés étonnée d'avoir en face de moi, si l'on peut dire, dans sa réponse, un descendant direct d'Anna Notara dont il me conta alors un peu de l'histoire.


vignette
Ci-contre, la belle vignette de l'Etymologicum Magnum, où l'on peut voir le prénom et le nom, "Nicolaos Blastos" sous la croix orthodoxe et la vigne chargée de grappes qui illustre toujours (ou presque) les armes des Vlastos de Crète.

Oui, une grande partie de sa famille, et lui-même étaient issus de Lucas Notaras. En fait, nous étions deux descendants de deux familles grecques et illustres, particulièrement pour les Notaras ayant été par deux fois alliés aux empereurs de Constantinople, et les Vlastos de Crète qui se distinguèrent à plusieurs reprises dans la libération de la Grèce et pour ce qui est de Nicolas Vlastos, dans la création de la première imprimerie en caractères grecs à Venise en 1499. J'avoue humblement ne pas avoir vraiment de filiation certaine avec Nicolas Vlastos, mais il n'en est pas moins vrai que ma grand grand grand grand... mère avait pour nom Loula Vlastos et que par conséquent elle, comme Nicolas Vlastos, étaient issus d'un commun et fort lointain ancêtre.

Zacharias Callergis

Ci-contre les armes de Zacharias Kallergis, avec l'aigle bicéphale byzantine [Rappelons que les Kallergis faisaient partie des 12 Archontes envoyés par l'empereur Alexis II Comnène en 1092 (ou 1192 selon les auteurs) en Crète en même temps que les Vlastos]

C'est donc avec passion et intérêt communs que nous avons lié amitiés et recherches. Costas Kérofilas nous ayant indiqué que l'origine du nom Vlastos ou Blasto avait été pour la première fois trouvé dans une épigraphe trouvée en Ionie et datant de 300 avant JC. L'histoire est belle...

Mais aussi que Nicolas Vlastos avait laissé une renommée dans l'histoire de l'imprimerie et de l'édition à Venise à la fin du 15è siècle avec son ami Zacharias Kallergis, aidé et encouragé en cela par Anna Notaras. Il y avait là matière à beaucoup de choses. Quelle joie et quelle émotion de pouvoir, d'un commun accord rechercher tout ce que nous pourrions, sur Anna Notaras et Nicolas Vlastos...

San giorgioElle fait don d'une importante somme d'argent pour la construction de l'Eglise San Giorgio dei Greci, haut lieu de l'orthodoxie à Venise, et d'icônes que l'on peut encore admirer, surtout l'une d'elle remarquée par Goethe et par André Malraux à leurs époques, "Le Christ bénissant".

Pendant ces temps, Nicolas Vlastos noble crétois, ayant possédé des fiefs, donc fortuné, ouvre une librairie, obtient un brevet d'invention,

"accordé pour la fabrication d'un genre spécial de splendides caractères soudés à leurs accents, ce qui n'avait pas été accompli jusqu'à ce jour avec autant de perfection et d'élégance"

[Horatio Brown. 1891 - The Venetian Printing Press]

et décide de fonder une imprimerie avec son ami Zacharias Kallergis. Ce sera la première qui fera paraître un livre imprimé en caractères grecs, si difficiles à exécuter avec tous les accents liés aux lettres. Kallergis se met à l'ouvrage et en 1499 avec son ami Nicolas Vlastos, qui l'édite, offre au public - lettré - un magnifique ouvrage, Le Grand Etymologique, dictionnaire à l'usage de l'Université de Padoue en premier lieu. Pour ce faire, ils avaient été aidés par Anna Notaras, tant par ses deniers que par ses encouragements prodigués avec passion. L'œuvre fut achevée et publiée en 1499.

Nous étions en relations suivies, pour nos deux ancêtres... Et avions projeté de nous rencontrer dès que nous le pourrions. Ce fut la Grange qui fut la première étape de cette rencontre... Nous déjeunâmes, non pas d'un navarin, encore moins d'un ragoût arabe, mais d'un foie gras sublime fourré de piquillos espagnols venant de Pau...Je ne sais si, tant Anna Notaras que Nicolas Vlastos eussent apprécié ces agapes fort animées. Il va sans dire que la rencontre de deux personnages, issus d'ancêtres qui avaient eu des relations certaines à la fin du 15è siè cle avait quelque chose de fantastique et étrange; mais certainement empreinte d'une grand émotion. Tout de go, nous avons décidé de nous rencontrer de nouveau à Paris, où nous devions aller voir et photographier l'exemplaire du Grand Etymologique qui se trouvait chez un libraire renommé de Paris.

Ce serait pour nous et surtout pour moi, un évènement important. Mon ami en ayant déjà vu en Grèce. Grâce à la courtoisie du détenteur de cet incunable, nous pourrions faire quelques photographies. Ainsi, à l'heure dite, nous étions fidèles au poste devant la porte de la librairie, qui allait s'ouvrir et nous porter cinq cents ans en arrière. L'accueil fut charmant et on mit à notre disposition sur une grande table, l'exemplaire du Grand Etymologique. Un in-folio de 224 pages, disposition sur deux colonnes, imprimées en noir avec des enluminures et des lettrines rouges. Nous avions sous les yeux un des derniers incunables. Je ne pouvais détacher mon regard de ces feuilles admirablement bien conservées, m'imaginant le travail que cela pouvait représenter de temps, de minutie et d'attention. Tout ceci, dans une imprimerie dont on savait l'adresse grâce à une lettre adressée par Marc Musurus à Jean Grigoropoulos:

" A Venise près des Cruccechieri, dans la maison où l'on imprime en grec"
une imprimerie dont nous connaissions un peu l'histoire grâce à Anna Notaras, Nicolas Vlastos et Zacharias Kallergis. Nous avons alors photographié ce qui nous parraissait le plus marquant et intéssant pour nous, en particulier le colophon dont nous avions déjà une traduction mais que nous voulions comparer, car il pouvait varier selon les éditions. Celui-ci était daté du 8 Juillet 1499. En excellent état, il avait été relié au 18è siècle dans un veau orné de fers dorés. Nous avons photographié soigneusement le colophon à fins de traduction, les lettrines, de l'alphabet, la vignette si belle de Nicolas, dont on pense qu'il en fut lui-même l'auteur et les armes de Kallergis. Nous savions qu'il y avait entre ces deux personnages crétois, une "histoire" car leurs ancêtres étaient plutôt ennemis au moment de la conjuration de Siphis Vlastos, dont on dit qu'il était le grand-père de Nicolas, mais rien n'était plus sûr. Il valait mieux ne se souvenir que de leur entente pour cet ouvrage qui allait faire date dans toute l'histoire de l'imprimerie.

Quand à la gente dame Anna Notaras, elle survécut à Nicolas Vlastos dont on perd la trace après 1500 et mourut en 1507 ainsi que le dit l'historien Sanudo "vieille et encore vierge".Ainsi, nous ne saurions jamais, à moins de découvertes inespérées, nous ne saurions jamais, si d'autres sentiments avaient uni Anna et Nicolas. L'histoire reste cependant magnifique et nous ne pouvons encore une fois qu'avoir un peu le cœur serré par une grande émotion d'être les témoins descendants de ces deux illustres personnages et de pouvoir en faire revivre quelques années. Ce colophon, termine l'édition du Grand Etymologique.

colophon

"L'impression de ce Grand Etymologique a été exécutée, grâce à Dieu, aux frais du noble et illustre M.Nicolas Vlastos de Crète, à l'invitation de la célèbre et très sensée Madame Anne, fille du très respectable et très glorieux M.Lucas Notaras, ancien grand duc de Constantinople, et par le travail et la dextérité de Zacharias Callergis, le Crétois, pour l'utilité des hommes instruits et amis des lettres grecques. L'an de J.C. 1499, au mois de juillet."

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Nous remercions vivement ceux qui nous ont permis de parcourir le Grand Etymologique, d'en prendre quelques clichés et d'avoir pu ainsi, être confrontés avec la réalité.
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© Françoise Bernard Briès.

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